L’amour inconditionnel – Michel Houellebecq

Un extrait de “la possibilite d’une ile”

DANIEL25,2
Deux semaines après mon arrivée Fox mourut, peu après le coucher du soleil. J’étais allongé sur le lit lorsqu’il s’approcha, essaya péniblement de monter ; il agitait la queue avec nervosité. Depuis le début, il n’avait pas touché une seule fois à sa gamelle ; il avait beaucoup maigri. Je l’aidai à s’installer sur moi ; pendant quelques secondes il me regarda, avec un curieux mélange d’épuisement et d’excuse ; puis, apaisé, il posa sa tête contre ma poitrine. Sa respiration se ralentit, il ferma les yeux.

Deux minutes plus tard, il rendait son dernier souffle. Je l’enterrai à l’intérieur de la résidence, à l’extrémité ouest du terrain ceinturé par la barrière de protection, près de ses prédécesseurs. Dans la nuit, un transport rapide venu de la Cité centrale déposa un chien identique; ils connaissaient les codes et le fonctionnement de la barrière, je ne me dérangeai pas pour les accueillir.

Un petit bâtard blanc et roux vint vers moi en remuant la queue ; je lui fis signe. Il sauta sur le lit, s’allongea à mes côtés.

L’amour est simple à définir, mais il se produit peu – dans la série des êtres. À travers les chiens nous rendons hommage à l’amour, et à sa possibilité. Qu’est-ce qu’un chien, sinon une machine à aimer ? On lui présente un être humain, en lui donnant pour mission de l’aimer – et aussi disgracieux, pervers, déformé ou stupide soitil, le chien l’aime. Cette caractéristique était si surprenante, si frappante pour les humains de l’ancienne race que la plupart – tous les témoignages concordent – en venaient à aimer leur chien en retour. Le chien était donc une machine à aimera effet d’entraînement- dont l’efficacité, cependant, restait limitée aux chiens, et ne s’étendait jamais aux autres hommes.

Aucun sujet n’est davantage abordé que l’amour, dans les récits de vie humains comme dans le corpus littéraire qu’ils nous ont laissé ; l’amour homosexuel comme l’amour hétérosexuel sont abordés, sans qu’on ait pu jusqu’à présent déceler de différence significative ; aucun sujet non plus n’est aussi discuté, aussi controversé, surtout pendant la période finale de l’histoire humaine, où les oscillations cyclothymiques concernant la croyance en l’amour devinrent constantes et vertigineuses. Aucun sujet en somme ne semble avoir autant préoccupé les hommes ; même l’argent, même les satisfactions du combat et de la gloire perdent en comparaison, dans les récits de vie humains, de leur puissance dramatique. L’amour semble avoir été pour les humains de l’ultime période l’acmé et l’impossible, le regret et la grâce, le point focal où pouvaient se concentrer toute souffrance et toute joie.

L’interpretation de ce texte par Iggy Pop