Malaussene a mal, il court – Daniel Pennac

Extrait de “Monsieur Malaussene” de Daniel Pennac, une explication de la cause premiere de la rotation de la terre …

Prenez un Malaussène, faites-lui mal, il court. Il pourrait réquisitionner un taxi, plonger dans le métro, s’accrocher à la queue d’un avion, non, il court ! Il met le trottoir en branle, engloutit l’asphalte, fait défiler des balcons au-dessus de sa tête. Les passants qui se retournent l’ont déjà perdu de vue, les marronniers n’ont pas le temps de se compter … il court, Malaussène, il court le plus droit possible, et saute le plus haut qu’il peut, les chiens le sentent passer au-dessus de leurs truffes, et les flics ne le voient pas traverser les carrefours, il développe sa foulée parmi les coups de gueule et de klaxon, le hurlement de la gomme et la stridulation des sifflets, l’envolée des pigeons et le coulé des chats au dos creux, il court, Malaussène, et on ne voit pas trop qui pourrait courir plus vite, si ce n’est un autre Malaussène peut-être, un autre malheur en mouvement, et tout compte fait ils doivent être nombreux ces coureurs affligés, si on en juge par la rotation de la terre, car elle tourne sous les pieds de l’homme qui court, la terre, il n’y a pas d’autre explication … et ces idées rondes sont les seules qui puissent venir à l’esprit de l’homme qui court à la surface du globe, il court sur une boule qui tourne, l’homme, condamné au surplace, à l’idée circulaire, renvoyé aux origines par chaque pas qui le rapproche du but (…).

[Et] celui qui court vers la femme qu’il aime, celui-là aussi fait tourner le monde !