La route que nous suivons – Gaston Miron

… “et à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir” …

À la criée du salut
nous voici armés de désespoir
au nord du monde
nous pensions être à l’abri
loin des carnages de peuples
de ces malheurs de partout qui font la chronique
de ces choses ailleurs qui n’arrivent qu’aux autres
incrédules là même de notre perte
et tenant pour une grâce notre condition

soudain contre l’air égratigné de mouches à feu
je fus debout dans le noir du Bouclier
droit
à l’écoute
comme fil à plomb à la ronde
nous ne serons jamais plus des hommes
si nos yeux se vident de leur mémoire
beau désaccord
ma vie qui fonde la controverse
je ne récite plus mes leçons de deux mille ans
je me promène
je hèle et je cours
cloche-alerte mêlée au paradis obsessionnel
tous les liserons des désirs fleurissent dans mon sang tourne-vents
venez tous ceux qui oscillent à l’ancre des soirs
levons nos visages de terre cuite
et nos mains de cuir
repoussés
burinés
d’histoire et de travaux

nous avançons
nous avançons
le front comme un delta
« Good-bye farewell ! »
nous reviendrons
nous aurons à dos le passé
et à force d’avoir pris en haine toutes les servitudes
nous serons devenus des bêtes féroces de l’espoir