Confession d’un enfant du siècle – Robert Desnos

Je jouais seul, mes 6 ans vivaient en rêve.

L’imagination nourrie de catastrophes maritimes je naviguais sur de beaux navires vers des pays ravissants. Les lames du parquet imitaient à s’y méprendre les vagues tumultueuses et je transformais à mon gré la commode en continent et les chaises en île déserte.

Traversées hasardeuses, tantôt le vengeur s’enfonçait sous mes pieds, tantôt la méduse coulait à fond dans une mer de chaînes encaustiquées, je nageais alors à force de bras vers la plage du tapis.

C’est ainsi que j’éprouvais un jour la première émotion sensuelle. Je l’identifiais instinctivement aux affres de la mort et dès lors, à chaque voyage je convins de mourir noyé dans un océan vague ou le souvenir des vers d’Océano nox, “O combien de marins, combien de capitaines qui sont partis joyeux vers des rives lointaines” lus par hasard dans un livre dérobé se mêlait à l’épuisante volupté.

Hugo domina mon enfance, de même que je n’ai jamais pu faire l’amour sans reconstituer des drames innocents de ma jeunesse, je n’ai jamais pu éprouver d’émotion poétique d’une autre qualité que celle que j’éprouvais à la lecture de la légende des siècle et des misérables.

Je vécu ainsi de 6 à 9 ans. Les derniers échos de l’affaire Dreyfus, des bribes de conversation entendues, le chiffre 93, le nom de Robespierre qui réunit mes 2 prénoms Robert et Pierre me permettaient d’imaginer une république révolutionnaire pour laquelle je me battais sur des barricades de fauteuils et de tabourets.

Nous habitions en face de St Merri, les souvenirs de l’insurrection du cloître se confondaient avec les cloche du nord et l’admirable chanson du pont du nord. De mon lit quand je m’éveillais la nuit je pouvais apercevoir un bout de trottoir éclairé sinistrement par un réverbère évocateur d’attaque nocturnes.

J’ai d’ailleurs la bonté de prévenir le lecteur que je mêle le rêve et la réalité, le désir et la possession , le futur et le passé. Qu’il se le tienne pour dit.

Gustave Aymard me donna la première image de la femme, je poursuivi alors en compagnie d’espagnole fatales le cheval sauvage et le chasseur de chevelures dans les savanes parfumées. L’héroïsme désormais se confondit avec l’amour, le sang coula gratuitement pour satisfaire des lèvres sensuelles, pour provoquer le tressaillement de seins réguliers. La solitude ou je vivais se confondit avec les grandes solitudes naturelles ou il n’y a plus de place que pour l’image de la passion.

Au reste, j’allais à l’école, la maîtresse qui nous enseigna à lire et à écrire était jeune, je ne rêvais que d’elle et rien ne m’honorait plus que son approbation. Un jour l’un des élève s’étant montré particulièrement insupportable, elle le fouetta. Le spectacle de cette honteuse nudité, l’humiliation ressentie par quelqu’un de mon sexe, la cruauté sensuelle de la jeune femme m’émurent si profondément que je ressenti aussitôt les sensations familières à mes naufrages imaginés. Une haine solidaire de celle de mon camarade se mêla à mon affection pour la jeune maîtresse. J’avais besoin de me venger et cependant elle m’était plus chère que jamais depuis cet incident.

Je guettais les petites filles se rendant à l’école, je les pinçais, je les giflais, je leur tirais les cheveux et c’est d’un coeur rasséréné que je rentrais dans la classe où des lettres de craie rayonnaient comme des astres sur le tableau noir. Je rêvais de la vengeance tandis que l’ânonnement des élèves pareille aux gammes monotones d’ une jeunes pianiste se mêlait au sifflement du gaz.

L’amour n’a pas changé pour moi, j’ai pu me perdre dans des déserts de vulgarité et de stupidité, j’ai pu fréquenter assidûment les pires représentants du faux amour, la passion a gardé pour moi sa saveur de crime et de poudre. Ceux que j’ai le plus aimé, ceux que j’aime le plus, je ne rêve rien tant que d’être séparé d’eux. Que de vaincre leur tendresse quitte à souffrir cruellement de leur absence.

Je ne sais jusqu’où l’amour conduira mes désirs. Il seront licites puisque passionnés.
Révolution, tendresse, passion, je méprise ceux dont vous ne bouleversez pas la vie, ceux que vous n’êtes pas capable de perdre et de sauver.