L’heure du gros hug ou la fin des artifices – Mathieu Tremblay

La meute se défait après avoir hurlé toute la nuit…

“Quand finit la soirée, les masques fondent dans la lueur des néons froids de la pizzeria d’en face qui éclairent les photos vantant les mérites de la gastronomie express des noctambules citadins. Crépitements et parasites montent dans nos cerveaux comme dans les écrans de ces télés qui abandonnent les couleurs vibrantes du jour et illuminent la nuit d’un bleu éblouissant, froid et blême. Les excès sont loin ; les émotions momentanées de la soirée semblent dérisoires.

C’est le moment de flottement entre la fête et l’intimité des solitudes, la solitudes des êtres intimes. Les espoirs, misés plus tôt dans cette soirée, sont exaucés ou déçus. Les poids sont divers, certains s’accablent d’une trop lourde charge, d’autres se libèrent. L’animal social est contraint, par l’heure tardive, l’alcool, la fatigue ou la pression morale de quitter ces endroits où la magie de l’échange avait lieu. Pour tous, c’est le départ, le retour vers le vide après le plein, le retour au sage après le fou, le retour à la raison après ces bribes de passion. La meute se défait après avoir hurlé toute la nuit… Il ne faut rien, ou presque rien, pour que le silence s’épaississe, que les regards ralentissent et que les mots disparaissent.

L’inconscient n’est pas loin dans cet état proche du sommeil. Les sentiments s’expriment même si tous restent muets. Certains, en se séparant, se serreront la main d’un geste ferme et plein, d’autres n’échangeront qu’un regard plein de sens, contenant un message que seul le destinataire décodera, il y en a aussi qui s’embrasseront, sans crier gare, malgré eux. Mais ici, c’est le plus souvent l’heure du gros hug, ce câlin si stylisé, si précisément défini et admis même dans les contextes les moins intimes. Ce signe banal et quotidien revêt dans ces instants, une dimension quasi-magique.

Joue à joue, ils ne se voient plus mais s’enlacent tout en se blottissant dans les bras l’un de l’autre. Bassin contre bassin, comme dans la plus exotique des danses nuptiales, ils restent la, immobiles. Une, deux, trois parfois quatre secondes passent avant que sans un mot, ils se séparent et s’en aillent. Paradoxalement, ils se sont tout dit à cette heure là, l’heure du gros hug, c’est la fin des artifices, pas de mot, pas de regards, pas de baisers, juste cet enlacement et ce sont deux subconscients qui dialoguent, se disent tout et s’aiment véritablement.

Moment étrange, de la fin des nuits qu’elles soient chaudes ou glaciales, alors que le néon d’en face pousse un ultime crépitement avant de s’éteindre dans le silence de la ville presque tout-à-fait endormie.”