De l’amitié moderne ou la plasticité des sentiments (ou comment accepter la défaite des constances) – Mathieu Tremblay

Cette distance entre les idoles et leur “noblesse” peut expliquer que le désir d’instantanéité relationnelle ait suivi le désir d’instantanéité de l’accès a la gloire. Dans une société dans laquelle on confond épisode de mode et talent, on peut aussi confondre relation contextuelle et sentiment profond.

Force est de constater dans les dernières années de nos sociétés occidentales qu’un fossé grandissant entre les images véhiculée et promues par les modèles de vie (les idoles socio-culturelles) et la réalité des échanges interpersonnels s’est définitivement établi. 

De même qu’il n’a jamais été vécu une telle augmentation simultanée et paradoxale entre la glorification du désir sexuel et du puritanisme telle que celle que nous connaissons aujourd’hui, les sentiments vécus et les sentiments désirés n’ont jamais été aussi éloignés.

L’évolution du modèle, de l’idole socio-culturelle pourrait expliquer cet éloignement entre les relations fantasmées et les relations réelles. En effet, si on parcours l’histoire la nature de l’idole a évolué et est passée du Mythe religieux (le Dieu), au Chef de guerre ou de nation (celui qui joue à Dieu dans la destine des peuples), au Comédien (l’acteur qui relate et mime les gloires et déchéances du chef de guerre ou de nation), le comédien par extension est devenu l’artiste qui apporte cette magie au monde et fait rêver. Depuis peu, l’accélération du besoin de gloire et la simplification de l’accès à la gloire instantanée et en boite amène une nouvelle sorte d’icone populaire la vedette-sans-raison qui enfile l’habit de l’artiste et en mime le comportement (les télés crochets et autres boys band en sont de bon exemples appliqués au monde de la musique mais de semblables cas existent dans toutes les formes artistiques) 

Cette distance entre les idoles et leur “noblesse” peut expliquer que le désir d’instantanéité relationnelle ait suivi le désir d’instantanéité de l’accès a la gloire. Dans une société dans laquelle on confond épisode de mode et talent, on peut aussi confondre relation contextuelle et sentiment profond. La gestion obsessionnelle du temps, mais pas seulement il faudrait aussi prendre en compte le replis sur soi et la peur de l’échec, nous pousse à nous jeter à corps perdu (ou au contraire à ne jamais nous jeter) dans des relations mal établies et mal définies qu’on se précipite à qualifier afin de pouvoir les reconnaître dans un système de valeur qui n’est plus adapté

La catégorisation des relations amicales est totalement dépassée et le modèle relationnel, qui a besoin d’une quantité de temps supérieure à celle disponible dans la réalité, trouve ses limites. C’est le début de l’élasticité des sentiments. La noblesse d’âme attendue chez l’autre, le pardon, l’investissement sur la durée, le “apprivoiser” de St Exupery ne fonctionnent plus et la moindre déception (normale dans une phase d’apprivoisement) est vue comme un échec et stop l’investissement. 

L’amitié qui était une matière dure et durable définie sur une base de temps élevée, n’a pas le temps de se solidifier et est encore dans un état flexible, malléable et souple quand on pense déjà pouvoir la tester. Les déceptions sont alors grandes et parfois terriblement déstructurantes on fini par ne plus croire a la valeur des sentiments de notre époque et se résigner à les penser en constante ébullition. Comme un métal qu’on aurait trop chauffé et dont on n’arriverait plus a restaurer l’état solide, nos sentiments ont juste besoin de plus de temps pour s’établir de façon certaine. 

L’échec des constances est celui de nos rythmes élevés. L’emballement et la précipitation que nous prenons à nommer, à classer, à typer nos relations est la seule source de la plasticité des sentiments. Il y a du désir et une envie globale d’accès à des relations nobles belles durables et sures. Il y a de l’espoir mais ca prendra du temps