Note sur la poesie – Tzara

“Savoir reconnaître et cueillir les traces de la force que nous attendons, qui sont partout, dans une langue essentielle de chiffres, gravées sur les cristaux, sur les coquillages, les rails, dans les nuages, dans le verre, à l’intérieur de la neige, de la lumière, sur le charbon, la main, dans les rayons qui se groupent autour des pôles magnétiques, sur les ailes.” Tristan Tzara

Le poète de la station dernière ne pleure plus inutilement, la plainte ralentit la marche. Humidité des âges passés. Ceux qui se nourrissent de larmes sont contents et lourds, ils les enfilent pour tromper les serpents derrière les colliers de leurs âmes. Le poète peut s’adonner à des exercices de gymnastique suédoise. Mais pour l’abondance et l’explosion, il sait allumer l’espoir AUJOURD’HUI. Tranquille, ardent, furieux, intime, pathétique, lent, impétueux, son désir bout pour l’enthousiasme, féconde forme de l’intensité. Savoir reconnaître et cueillir les traces de la force que nous attendons, qui sont partout, dans une langue essentielle de chiffres, gravées sur les cristaux, sur les coquillages, les rails, dans les nuages, dans le verre, à l’intérieur de la neige, de la lumière, sur le charbon, la main, dans les rayons qui se groupent autour des pôles magnétiques, sur les ailes. La persistance aiguise et fait monter la joie en flèche vers les cloches astrales, distillation des vagues de nourriture impassible, créatrice d’une vie nouvelle. Ruisseler dans toutes les couleurs et saigner parmi les feuilles de tous les arbres. Vigueur et soif, émotion devant la formation qu’on ne voit et qu’on n’explique pas: la poésie. Ne cherchons pas d’analogies entre les formes sous lesquelles s’extériorise l’art; à chacune sa liberté et ses frontières. Il n’y a pas d’équivalent en art, chaque branche de l’étoile se développe indépendamment, s’allonge et absorbe le monde qui lui convient. Mais le parallélisme constatant les directions d’une vie nouvelle, sans théorie, caractérisera l’époque. Donner à chaque élément son intégrité, son autonomie, condition nécessaire à la création de nouvelles constellations; chacun a sa place dans le groupe. Volonté de la parole: un être debout, une image, une construction unique, fervente, de couleur dense, intensité, communion avec la vie. L’Art est une procession de continuelles différences. Car il n’y a pas de distance mesurable entre le « comment allez-vous », le niveau où l’on fait croître son monde et les humaines actions vues sous cet angle de pureté sous-marine. La force de formuler en l’instant cette succession variable est l’oeuvre. Globe de durée, volume enfanté sous la pression sans cause. L’esprit porte de nouveaux rayons de possibilités: les centraliser, les ramasser sous la lentille ni physique ni définie, – populairement – L’âme. Les manières de les exprimer, les transformer: les moyens. Clair en or comme l’éclat – battement croissant d’ailes s’agrandissant. Sans prétentions d’absolu romantique, je présente quelques négations banales. Le poème n’est plus sujet, rythme, rime, sonorité: action formelle. Projetés sur le quotidien, ils peuvent être des moyens dont l’emploi n’est pas réglementé ni enregistré, auxquels je donne la même importance qu’au crocodile, au minerai ardent, à l’herbe. oeil, eau, balance, soleil, kilomètre et tout ce que je puis concevoir ensemble et qui représente une valeur susceptible de devenir humaine: la sensibilité. Les éléments s’aiment si étroitement serrés, enlacés véritablement, comme les hémisphères du cerveau et les compartiments des transatlantiques. Le rythme est le trot des intonations qu’on entend; il y a un rythme qu’on ne voit et qu’on n’entend pas: rayons d’un groupement intérieur vers une constellation de l’ordre. Rythme fut jusqu’à présent les battements d’un coeur desséché: grelots en bois putride et ouaté. Je ne veux pas encercler d’un exclusivisme rigide ce qu’on nomme principe là où il ne s’agit que de liberté. Mais le poète sera sévère envers son oeuvre, pour trouver la vraie nécessité; de cet ascétisme fleurira, essentiel et pur, l’ordre. (Bonté sans écho sentimental, son côté matériel.) Etre sévère et cruel, pur et honnête envers son oeuvre en préparation qu’on placera parmi les hommes, nouveaux organismes, créations qui vivent dans des os de lumière et dans les formes fabuleuses de l’action. (Realité?.) Le reste, nommé littérature, est un dossier de l’imbécillité humaine pour l’orientation des professeurs à venir. Le poème pousse ou creuse le cratère, se tait, tue ou crie le long des degrés accélérés de la vitesse. Il ne sera plus un produit de l’optique, ni du sens ou de l’intelligence, impression ou faculté de transformer les traces des sentiments. La comparaison est un moyen littéraire qui ne nous contente plus. Il y a des moyens de formuler une image ou de l’intégrer, mais les éléments seront pris dans des sphères différentes et éloignées. La logique ne nous guide plus et son commerce, bien commode, trop impuissant, lueur trompeuse, semant les monnaies du relativisme stérile, est pour nous à jamais éteint. D’autres forces productives crient leur liberté, flamboyantes, indéfinissables et géantes, sur les montagnes de cristal et de prière. Liberté, liberté: n’étant pas végétarien je ne donne pas de recettes. L’obscurité est productive si elle est lumière tellement blanche et pure que nos prochains en sont aveuglés. De leur lumière, en avant, commence la nôtre. Leur lumière est pour nous, dans la brume, la danse microscopique et infiniment serrée des éléments de l’ombre en fermentation imprécise. N’est-elle pas dense et sûre la matière dans sa pureté? Sous l’écorce des arbres abattus, je cherche la peinture des choses à venir, de la vigueur et dans les canaux la vie gonfle peut-être, déjà, l’obscurité du fer et du charbon.