J’ai inventé l’urgence – Mathieu Simard

Par Matthieu Simard, dans “Llouis tombe tout seul” … à lire

J’ai invente l’urgence.

Exactement là où il n’y aurait jamais du y en avoir, là où il n’y en a pas, j’ai invente l’urgence. Je voulais un ami tout de suite, n’importe comment, immédiatement. C’est épais. Je suis épais. J’ai eu l’air d’un épais. C’est à cause de la télé.

Pendant quatre ans, je me suis habitué à avoir tout ce que je voulais, en quelques secondes. Consommation immédiate, absorption instantanée. Changement de chaine à loisir, au gré de mes besoins. Je veux rire, je mets ça au film comique, je veux pleurer, je mets ça au film triste, je veux être bouleverse, je mets ça au documentaire bouleversant. Tout ça tout le temps, quand je veux, c’est moi qui contrôle, c’est moi qui décide, et mes gestes vont aussi vite que les idées dans ma tête.
Dans ma tête ça a toujours été un tourbillon, depuis que je suis tout petit c’est un tourbillon, ça se bouscule, ça se mélange, ça s’enchevêtre sans arrêt, sans stop, sans pause, sans ralenti, ça a toujours été deux flèches vers la droite, comme si le bouton était coince enfonce le caoutchouc du bouton pris dans le plastique de la télécommande. Mais depuis que je suis tout petit, j’ ai toujours pu contrôler mes gestes, les empêcher de suivre le tourbillon de la tête. Laisser la tête s’emporter, et agir calmement.

Mes quatre années enfermé avaient détruit ce contrôle, je m’en suis rendu compte pendant mes fausses vacances. J’avais suivi le tourbillon, j’avais invente 1’urgence la où il n’y en avait pas. J’avais eu l’air fou, je n’aime pas avoir l’air fou.

Avoir un ami, c’est correct. C’est un bon objectif. Mais j’ai agi en enfant. Comme si les années passées à m’isoler avaient dépassé plutôt que passé. Comme si j’ avais reculé, comme si le temps avait coulé du mauvais cote. J’étais redevenu un enfant, sans m’en rendre compte, les besoins instantanés, l’incompréhension face au monde, ce monde qui avait change, ça c’était vrai, le monde avait changé, mais moi aussi.

J’allais rechanger.

Je ne pouvais rien faire contre le tourbillon dans ma tête, de toute façon je ne voulais rien faire contre le tourbillon dans ma tête, mais les gestes, eux, les actions, elles, je pouvais les contrôler.

J’étais dans mon salon devant la télé éteinte et je me remémorais mes cours d’amitié, les choses faciles qu’on apprend tout jeune à la maternelle, les bases de morale qu’ on apprend en groupe après qu’un petit gars a tape sur la tête d’un autre petit gars dans la cour de recréation.

Ce n’est pas parce que quelqu’un nous parle qu’il est notre ami. Une amitié, ça se bâtit. ça se développe, ça grandit. Il faut être patient, prendre son temps, ne pas sauter aux conclusions pour ne pas être déçu, ne pas voir des amis partout pour ne pas être trompé

J’étais comme un enfant a la maternelle, a qui on enseigne la base de l’amitié. Je me sentais ridicule, tout seul chez moi a me répéter que l’amitié ça se construit, que n’importe qui n’est pas un ami parce qu’il me parle. Mais je devais passer par là. J’avais oublié tout ça, comme on oublie les équations a deux variables, comme on oublie les dates historiques, comme on oublie l’accord des adjectifs de couleur. J’avais oublié l’amitié, les cours d’amitié de la maternelle.

J’ai tué l’urgence.

Les choses allaient changer. J’allais laisser les gens venir à moi. J’allais construire des relations fiables. J’allais grandir.
Et j’allais me trouver un ami, un vrai.
Pas un quelqu’un qui veut me vendre un objet.
Pas un quelqu’un qui me trouve drôle.
Un quelqu’un pour qui je serai aussi un quelqu’un.

J’avais cesse de respirer.
Je retenais mon souffle depuis le jour de ma première sortie.
Quand j’ai compris tout ça, l’urgence et l’amitié, l’enfance et les tourbillons de gestes, j’ai expiré, plus longtemps que toute ma vie, et j’ai inspiré, plus longtemps que toute ma vie.
Ca allait aller mieux.

J’ai tué l’urgence.

C’est ça que j’ai fait pendant mes vacances.