Rire ou ricanner – Roland Barthes

Un extrait des Chroniques que Roland Barthes publiait dans le Nouvel Observateur. Il présente ici un constat un peu inquiet face aux réactions d’un public barbare face a un film de Rohmer.

Au cinéma, la fumée risque de gêner les spectateurs, c’est pour quoi on l’interdit.
Mais les rires qui derrière moi, accompagnent ce film qui m’émeut, ce film que j’admire, ce film que j’aime – aucune loi ne les interdit et, pourtant, ils me blessent.

Car ce soir la le public riait ai-je cru entendre de ces choses que précisément j’aimais dans le film d’Eric Rohmer. Un art du récit, la saveur d’une langue différente et cependant claire, le charme d’une parole assonancée, le relief des caractères, le rapport très subtile de la littérature et de l’image ; pour tout dire une sorte de bienveillance, de bonté, de génie, de noblesse.
Il y a certes dans “Perceval” d’Eric Rohmer des moments délibérément drôles mais dès lors que le rire du public vient d’une moquerie ou d’une espèce de grossièreté de sentiment, dès lors qu’on rit d’une sensibilité ou d’une innocence, dès lors qu’on rit d’un auteur à son insu, la barbarie apparait.

Passe encore de rire à “pucelle”, à “baiser”, à “garce”, tous les potaches l’ont fait. Mais rire de la simplicité du héros de Rohmer, et c’est précisément cela le film de Rohmer, simple dans tous les sens du mot, c’est dire “je ne comprend pas l’autre, je ne veux pas de l’autre”