Le bain et les magazines – Virginie Despentes

— extrait des Jolies Choses de Virginie Despentes —

Pris un bain, tout à  l’heure. Les flacons, les bouteilles, les tubes, elle avait tout mis dans l’eau du bain, rappel d’enfance quand des jouets flottent autour de soi et qu’on s’amuse à  faire des trucs avec. Contour des yeux, hydratation, mousse douce nettoyante, gommage pulvérisant, masque aux acides de fruits a la vitamine C, aux céramides ceci, choses de toutes les couleurs, crèmes pour nourrir cela, peau soyeuse, cheveux brillants, teint éclatant. Lutte implacable contre soi-même, surtout ne pas être ce qu’on est.
Sortant de l’eau, elle reniflait son bras qui sentait de drôles de choses, tous ces trucs qu’elle avait essayés, une odeur agaçante, énervante à force de vouloir être calme. Comme de tellement vouloir dormir, prendre peur de l’insomnie, qu’on finit par se retourner pour cinquante fois dans les draps, en rage.

Une frénésie de sérénité.

Robe rouge, on voit toute sa poitrine, à  croire que c’est une vache qui exhibe tous ses pis, on voit le haut du cul, la ou personne ne devrait voir. Elle tourne sur elle-même avec méfiance devant le miroir. Pincement au cœur, ça n’est déjà plus à  elle qu’elle ressemble.

Feuilleté les journaux en pile que Claudine lisait. Consternation. Sur un ton de connivence amusée, foison de petits conseils pour être une putain à  la page. Et se mêlant de tout, que tout rentre dans les cases, et comment il faut jouir, et comment il faut rompre, et comment se tailler, se teindre jusqu’aux poils de la chatte, et comment on doit être du dedans au dehors. Ton faussement débonnaire, propagande imbécile pour être comme il faut. Apres des siècles d’interdiction de montrer, femmes sommées d’exhiber qu’elles sont bien toutes aux normes, qu’elles sont calibrées : voila mes jambes interminables, glabres et halées, mon derrière correctement musclé, mon ventre plat nombril percé, mes seins énormes fermes et moulés, ma peau saine et pas vieillie, mes cils sont longs, mes cheveux brillants.

Contrairement à  ce qu’elle croyait auparavant, il ne s’agit pas d’une soumission aux désirs des hommes. C’est une obéissance aux annonceurs, il faudra que tout le monde y passe. Ils régissent le truc, fil des pages : voila ce qu’on vend, alors voila ce qu’il faut être.

Les jolies choses, Virginie Despentes – 1998