La femme de papier – Françoise Rey

J’étais en ce temps-là une maîtresse timorée, et toi un amant conventionnel, hâtif trop souvent, et trop souvent imbu de ce rôle que tu croyais ton privilège : celui de dispensateur de plaisirs sans cesse renouvelés.

Mon amour interdit,
Mon compagnon de plaisir,
Mon copain des moments drôles,
Viens, je t’emmène dans une divagation de bonne femme rêveuse, au cœur tendre et au ventre désœuvré. Je t’emmène avec moi parce que tu vas m’inspirer, at aussi parce que tu as semblé intéressé par la proposition. Je m’applique pour être lisible, mais si je ne le suis plus tout à l’heure, il ne faudra pas m’en vouloir, ce sera de ta faute…

Donne-moi ta main, ta main carrée, plus grande que la mienne, plus chaude aussi, et qui n’a jamais eu la patience d’apprendre à être assez douce… Suis-moi dans cette pièce tiède, intime, presque obscure où l’incompréhensible hasard nous amène, tous les deux, sans souci de personne à qui rendre des coptes, sans préoccupation du temps qui passe. Sans arrière-pensée non plu ; car pourras-tu l’imaginer, nous ne sommes pas là pour ce qui réunit d’ordinaire, et nous tient lieu de complicité !

La preuve, je suis abandonnée à la volupté d’un fauteuil exquisément moelleux, un de ces merveilleux fauteuils si vaste pour un, mais un peu petit pour deux. Et je téléphone. A je ne sais qui, qui me dit je ne sais quoi, c’est sans importance, je réponds “mmmoui!” de temps à autre, parce que la voix de mon interlocuteur a un effet soporifique puissant, et aussi parce que tu es là, assis par terre à mes pieds, et que tu me caresses les jambes, très négligemment, du bout des doigts, comme si tu pensais à autre chose. C’est un effleurement plutôt qu’une caresse, mais Dieu que c’est bon, je passerais ainsi des heures a l’écoute de tes doigts qui recréent, mes chevilles, mes mollets, mes genoux…Et le creux, derrière les genoux, je ne t’en parle même pas!… Je crois bien que j’ai gémi au téléphone !…

Que tes mains sont habiles, ce soir! Comme elles vagabondent bien sur moi! En voici une qui se hasarde plus haut sous ma jupe…Non! elle redescend… Elle arrive à mon pied, ça n’est pas mal non plus, je le sens qui s’émeut à l’autre bout de moi. Peut-on jouir par le pied? Ah! encore une main. Celle-ci est plus hardie, sans en avoir l’air, elle s’insinue doucement entre mes cuisses. J’ai bien envie de lui souhaiter la bienvenue, de m’écarter un peu mais ma jupe est trop serrée. C’est un supplice délicieux de désirer s’ouvrir et d’en être empêchée. L’entrave finit par devenir aussi excitante que la caresse, et pourtant la caresse se fait de plus en plus précise…Je n’ai pas le courage de bouger pour enlever ma jupe, d’ailleurs, ça gâcherait tout peut-être… Mais je n’ai pas celui, non plus, de contraindre mon corps à l’immobilité.

Il commence à se tortiller d’une façon que je qualifierai d’indécente, car j’ai encore la tête froide, si le reste commence à chauffer. Et je demeure là, à écouter cet intarissable téléphone, et à regarder ma jupe tendue à l’extrême ( c’est sûr, elle va craquer) parce que mes genoux ont un furieux besoin de se séparer. Quant à tes mains, qui ont compris leur pouvoir depuis longtemps, elles abusent nettement de la situation… Tu vois, tu me fais creuser les reins, et mes fesses se contractent d’une drôle de façon. Ça devient critique.

Il y a un quart d’heure, j’ignorais totalement que j’avais un sexe. Eh bien, je ne peux plus l’oublier. Il est tout chaud dans ma culotte, et je le sens qui bouge de partout. Comme une bouche qui tète, comme un animal vivant qui respire, comme un cœur qui bat. J’ai un petit moteur tout en bas du ventre, qui pompe tout seul. Il est vibrant, tout mouillé, il appelle un attouchement plus direct, une caresse plus concrète. Je suis obnubilée par ma forme, qui prend vie sous tes doigts. J’ai tout à coup conscience de mon vide, de mes trous, de mes replis…

Comment puis-je passer la majorité de mon temps sans me rendre compte que je suis partagée, là en bas, par un voluptueux fourré qui ne demande qu’à s’ouvrir, une fente toute moite, très longue, de mon ventre jusqu’à mon cul, qui, bien entendu, participe à la fête? Je le sens qui palpite aussi, en même temps que l’autre trou; ils s’entendent très bien, ces deux là, pour les cochonneries, je t’assure. Je n’ai plus rien à dire, ils battent à l’unisson, ils se crispent et se dilatent ensemble, ils me font une sarabande infernale, dis, il faudrait faire quelque chose…