Portrait de Bill – Herve Guibert

Lui d’ordinaire si bref, si expéditif, il m’appelait des-oeuvré de son bureau à Miami à la tombée de la nuit



A partir de ce jour Bill ne donna plus de nouvelles et il ne téléphona plus alors que tous ces derniers temps il m’avait presque importune, dans la nuit, avec d’interminables coups de fil. Lui d’ordinaire si bref, si expéditif, il m’appelait des-oeuvré de son bureau à Miami à la tombée de la nuit à cette heure ou l’absurdité de l’agitation retombée devenait intolérable et accentuait la solitude.

Bill restait alors seul dans son bureau à laisser errer ses yeux sur son carnet d’adresse qui d’un seul coup lui paraissait vide et transparent. J’étais au bout du compte un de ses seuls amis sur cette planète. Il n’avait rien de spécial à me dire sinon son épuisement et ses doutes, son incapacité à vivre des aventures et toujours de façon assez égrillarde il me proposait de devenir le temps de la conversation l’émissaire de ces aventures qu’il n’était plus capable d’avoir et il inventait quelqu’un dans mon lit quand il me parlait alors que j’y étais seul.

A ces moments j’avais pitié de Bill, il ne supportait aucun type d’obligation amicale alors qu’il était perclus d’obligation professionnelle, c’était cela sa maladie, son obsession, la gangrenne de ses rapports, il voulait rester libre jusqu’au dernier moment pour être le maitre de ses soirées et se proposer à la dernière minute comme pour éprouver la fidélité et la disponibilité de ses quelques très rares amis, il n’acceptait jamais de bloquer une date pour un diner dont il n’était pas l’organisateur et il débarquait royal dans le jeu de quilles quadrille de nos amitiés, fonçant avec sa jaguar kidnapper l’un d’entre nous et l’inviter à diner dans un grand restaurant.

Au fil des ans nous nous étions quand même un peu dresses l’un et l’autre, j’étais quasiment la seule personne qu’il acceptait de raccompagner à l’issue de nos diners. J’adorais d’autant plus de me faire raccompagner par Bill que cela lui coutait énormément de par sa phobie de l’obligation amicale de faire ce petit détour qui bravait l’intransigeance de son orgueil et qui le ravalait non pas au rang de chauffeur comme il feignait en maugréant de le penser mais tout simplement au rang d’ami fidèle.